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Les NBT: l'enfummage des nouveaux OGM

Par Loïc Prud'homme 07 juin 2021
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Les NBT (new breeding techniques - nouvelles techniques de sélection), concernent des plantes dont le génome est génétiquement modifié en laboratoire mais dont le classement comme OGM tente d'être contourné. Ce sujet, très technique en apparence est en réalité très politique: car il s'agit tout simplement de savoir ce que notre société accepte, ou pas, que nous fassions avec des OGM

Pour rappel, les OGM désignent des organismes dont le génome (l'ADN) a été modifié par l'action de l'être humain en laboratoire à l’aide de certaines techniques afin d'obtenir des propriétés qui n'existent pas dans la nature. Quelques exemples : Maïs Mon810 de Monsanto qui sécrète un insecticide contre la pyrale et qui est cultivé en Espagne, le soja roundup ready également de Monsanto, résistant au glyphosate, cultivé à large échelle au Brésil et aux USA et vendus aux éleveurs en France.

Les techniques les plus anciennes d'OGM consistaient principalement à intégrer dans le génome d'un être vivant des gènes étrangers. Les NBT, qui existent depuis une dizaine d'années, sont plutôt employées pour produire des mutations dans l’ADN, même si ces techniques nouvelles peuvent être utilisées pour supprimer ou ajouter des gènes. Exactement comme annoncés il y a plus de vingt ans pour les OGM, ces nouveaux génomes sont censés apporter des avantages tels qu'un meilleur rendement, augmenter au diminuer le taux d’un composant d’une plante, une résistance à certaines maladies … ou à certains herbicides... même si ce dernier point est rarement mis en avant.

Les pro-OGM vantaient systématiquement le riz "doré" enrichi en vitamine A pour dire que les OGM allaient sauver le monde. Oubliant au passage de mentionner que permettre aux gens d'avoir un régime alimentaire comprenant des légumes serait nettement plus efficace pour lutter contre la carence en vitamine A. Les pro-NBT mentionnent maintenant les tomates relaxantes qui font baisser la tension artérielle car avec un taux de GABA bien plus élevé que les tomates habituelles, obtenue à l’aide du fameux outils de génie génétique CRISPR-cas 9.

Pourtant, le riz doré est l'arbre qui cache la forêt : pour une plante enrichie en vitamine, combien de plantes résistantes à un certain type de pesticides ont-elles été produites par les firmes de l'agrochimie? La réponse est sans appel : les OGM résistants aux pesticides, également appelés OGM VrTH (Variété Tolérante aux Herbicides) représentaient en 2008 82% des plantes OGM cultivées sur la planète.

À leurs tours, les technobéats pro-NBT ne mentionnent que rarement que les droits d’utiliser l’outil CRISPR-cas 9 sont très recherchés par les multinationales de l’agrochimie. Ils ont fait l’objet d’âpres négociations dès 2015 pour DuPont Pioneer, puis ont été acquis en 2016 par Monsanto, et en 2017 par Syngenta. Et l’on n’entend personne pour annoncer que des recherches sont menées par ces firmes avec ces techniques pour créer des nouvelles plantes VrTH par exemple ici Monsanto et ici DuPont.

Car il s'agit de cela. Les firmes agro-chimiques développent des OGM à des fins de rentabilité, pas par philanthropie. Les firmes agro-chimiques vendent les semences et si en plus ces plantes sont résistantes à un herbicide que la firme vend également, alors là, c'est le jackpot... Pour elle... Pas pour les paysans, ni pour l'environnement. Les agriculteurs qui utilisent des OGM sont donc dépendants de la firme pour l'achat chaque année de semence, et des pesticides qui les accompagnent. L'usage d’OGM résistants au glyphosate (par exemple) a un impact environnemental certain puisque ils induisent une hausse dans l’utilisation de ce pesticide après une dizaine d’année de culture. Dans le cas des OGM secrétant eux même des pesticides, c'est tout le biotope qui sera impacté car de nombreux insectes et papillons seront tués et pas seulement le ravageur qui était ciblé au départ. Il faut également mentionner que le génome des OGM ou des variétés « NBT » va forcément contaminer les plantes alentour, en raison du processus naturel d'hybridation des plantes : c'est ce qui s'appelle les contaminations croisées. Enfin, le risque sanitaire n'est pas écarté. Bien que les OGM autorisés dans l’Union européenne doivent correspondre à un cahier des charges précis incluant des études sur leurs potentielles conséquences sur la santé et l’environnement,

« En conséquence, la mise sur le marché de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux génétiquement modifiés ne devrait être autorisée qu'après une évaluation scientifique, du plus haut niveau possible, des risques qu'ils présentent pour la santé humaine et animale et, le cas échéant, pour l'environnement, effectuée sous la responsabilité de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Autorité) » ,

[Règlement CE No 1829/2003 du parlement européen et du conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés] (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:02003R1829-20080410), certains chercheurs [émettent des réserves] (https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/19/l-evaluation-de-la-toxicite-des-ogm-remise-en-cause_5051163_3244.html) sur la capacité des études fournies par les producteurs d’OGM lors de leur demande d’homologation, à pouvoir vraiment démontrer l’innocuité de ces plantes.

Mais surtout, les NBT relèvent d’une vision de l’agriculture bien loin de celle que je défends. Ayant travaillé de nombreuses années à l’Inra (maintenant Inrae) avant mon mandat, je sais que des systèmes agricoles autres que le système de monoculture productiviste actuellement en vigueur seraient plus résilients face au changement climatique. En effet, planter des graines avec une hétérogénéité génétique sur une même parcelle serait une bonne option pour lutter contre les ravageurs ou pour s’adapter à une consommation d’eau moins importante. De même que la permaculture et l’agroforesterie sont des initiatives à soutenir tant pour leurs avantages écologiques qu’humain avec des exploitations à taille humaine.

C’est pour cela qu’en raison des risques sociaux, environnementaux et sanitaires que portent les OGM, je m'oppose fermement à leur culture et à leur commercialisation. La position que je défends sur les OGM n'est pas radicale. C’est l'avis partagé par la plus large partie de la population: en 2019 plus de 80 % des français étaient contre l'importation d'OGM dans l'Union européenne ou leur utilisation à des fins d'alimentation humaine ou animale.

Pour les NBT, je resterai sur cette position de l’interdiction de la culture à des fins commerciales et de leur commercialisation car ils ne sont pas la solution aux problèmes actuels et de demain concernant l’agriculture.

les OGM et la législation

Dans l'état actuel de la législation, c'est l'Union Européenne qui décide si (et quelles) des plantes OGM peuvent être commercialisées en Europe. En 2021, environ 70 OGM sont autorisés à la commercialisation dans l'Union européenne à des fins d'alimentation humaine et animale et des dizaines sont en attente d'évaluation. Ce chiffre est en augmentation, en 2015, seul 58 OGM étaient autorisés à l'importation dans l'UE. Les pays membres n'ont pas le droit d'émettre une interdiction nationale sur la commercialisation des OGM autorisés par l'UE car cela contreviendrait à la notion de libre circulation des marchandises dans l’UE.

En ce qui concerne la culture des OGM, elle est fortement réduite dans l'Union européenne où seul le maïs MON810 de Monsanto a été autorisé par la commission européenne. Bien que la commission donne l'autorisation initiale, les pays membres peuvent refuser la culture d'OGM sur leurs sols. Ce qui est le cas de la France où pour l'instant aucun OGM ne peut y être cultivé, sauf à des fins scientifiques.

Or ça, ça ne passe pas pour le lobby des OGM qui essaie de manœuvrer pour faire sortir les NBT de la réglementation des OGM, ouvrant alors la porte à leur importation massive ou à leur culture sur notre territoire et dans toute l'Europe.

Commence alors le feuilleton législatif et juridique dans lequel nous sommes encore.

Au début de ce feuilleton il y a la réglementation européenne, la fameuse directive 2001/18/CE du parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 qui définit ce que sont les OGM pour l'UE et leur réglementation.

Lors de la rédaction de cette directive, des techniques de transformation du génome sont explicitement citées et sont appelées OGM, d'autres sont citées et sont cataloguées comme ne relevant pas des OGM. Évidemment, les techniques qui n'avaient pas encore été inventée il y a 20 ans pour modifier le génome ne s'y trouvent pas mentionnées. Ni pour dire que ce sont des OGM, ni que ce n'en sont pas...

Mutagénèse de longue date et mutagénèse dirigée via les NBT

La directive a été transposée dans le droit français en 2008 et la mutagénèse est alors clairement indiquée comme ne relevant pas des OGM dans l'article D531-2 du code de l'environnement, sans que l'on sache de quelle mutagénèse il s'agit. Celle réalisée depuis les années 70 consistant à exposer des plantes à des rayonnements pour les faire muter ou celle réalisée de manière dirigée sur l'ADN à l'aide d'outils de génie génétique qui ciblent les gènes à faire muter et qui ressemble furieusement à des techniques utilisées pour les OGM?

La brèche a été habillement utilisée par les firmes qui vendent des variétés de colza et de tournesols rendues tolérantes aux herbicides (VrTH) à l'aide de la mutagénèse dirigée, sans leur faire d'abord suivre le parcours d'homologation que doivent avoir les OGM.

Pour ces raisons, la confédération paysanne et des associations après avoir interpellé sans succès le premier ministre de l'époque Manuel Valls ont porté l'affaire au Conseil d’État en 2016 en arguant qu'il s'agissait là d'OGM cachés et que ces semences devaient se conformer à la législation sur les OGM.

Le Conseil d’État a alors statué qu'il revenait à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) de trancher si les organismes obtenus par mutagenèse (et notamment les nouvelles techniques de mutagénèse dirigée par génie génétique) relevaient ou non des organismes génétiquement modifiés.

La Cour de justice de l’Union Européenne a rendu sa décision le 25 juillet 2018, stipulant que les organismes issus de mutagénèse dirigée étaient à réguler au même titre que les OGM issus de la transgénèse conformément au champ de la directive européenne 2001/18 en raison de la gestion du risque environnemental et du principe de précaution dans sa déclinaison européenne.

Mais le feuilleton ne s'arrêta pas là.

Un second passage devant le Conseil d’État en février 2020 confirme la décision: la France doit se mettre en conformité avec la décision de la CJUE et doit changer sa législation afin d’intégrer dans les OGM, les variété de plantes agricoles obtenues par mutagénèse dirigée et par mutagénèse aléatoire in vitro utilisée pour les rendre tolérantes aux herbicides. Le conseil d’Etat donne alors 6 mois au gouvernement pour modifier l’article D 531-2 du code de l’environnement en ce sens. Et également : > « identifier, dans un délai de neuf mois, les variétés de plantes agricoles obtenues par mutagenèse qui ont été inscrites au catalogue officiel des plantes cultivées sans avoir fait l’objet de la procédure d’évaluation des risques applicable aux OGM, alors qu’elles auraient dû y être soumises du fait de la technique utilisée pour les obtenir. Cela pourra amener en pratique à retirer les variétés concernées du catalogue et à en suspendre la culture ». Sauf que plus d’un an plus tard le Gouvernement n’a toujours, ni proposé de modification de l’article D531-2, ni pris de mesure pour suspendre la culture des plantes résistantes aux pesticides obtenues par mutagénèse (NBT). Mais d’après la réponse du Gouvernement à mon interpellation sur ce sujet en février 2021, un décret et des arrêtés seraient sur le point d’être promulgués. Est-ce par cynisme, histoire de « gagner » une saison, que ces mises en conformité tardent à être effectuées ? Le Gouvernement aurait-il encore plus tardé sans le recours des associations auprès du Conseil d'État qui a donc décidé de rouvrir la procédure contentieuse contre le Gouvernement dans le dossier des nouveaux OGM? Souhaitait-il laisser la situation dans l’illégalité actuelle en attendant un éventuel retournement de veste de la part de la Commission européenne sur le sujet des OGM ?.

En effet, alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne a été très claire sur le sujet des NBT mettant en œuvre la mutagénèse qui doivent être considéré comme des OGM, la Commission Européenne vient de sortir, fin avril 2021, un rapport qui préconise d’ouvrir grand les vannes à ces nouveaux OGM… En changeant la réglementation européenne !

crédits illustrations:

Photo by Melissa Askew de Unsplash

Stephanie Bertot-Molion de Pixabay

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Loïc Prud'homme est député France Insoumise de la Gironde pour les communes de Bègles, Bordeaux Sud, Talence et Villenave-d'Ornon. Résolument engagé en faveur de la règle verte et de la transition écologique de notre société il siège à l'Assemblée nationale au sein de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Retrouvez sur ce site internet son travail dans l'hémicycle et en circonscription en faveur des services publics, de l'emploi local, de la justice sociale et de la transition écologique.

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