J'ai participé ces derniers mois à une Commission d’enquête parlementaire sur les causes de l’échec des plans Ecophyto successifs à maitriser l'impact des produits phytosanitaires sur notre santé et l'environnement, dont les auditions ce sont tenues entre juillet et décembre 2023. Je vous partage ci-dessous la contribution déposée par mes collègues Aymeric Caron, Mathilde Hignet, Michel Sala et moi même au rapport adopté par la Commission d'enquête le jeudi 14 décembre 2023.
La création d'une commission d'enquête sur l'incapacité de la France à maitriser les impacts des produits phytosanitaires était une nécessité et nous saluons cette initiative. Le déclin de la biodiversité, la multiplication des clusters de cancers, les scandales liés aux pollutions de l'eau, de l'air et des sols, et l'impasse de la dépendance de notre agriculture aux intrants chimiques imposait que la représentation nationale fasse le point et explique cette situation, afin de mieux en sortir. Les auditions menées ont été révélatrices de situations particulièrement graves, et de grandes lacunes dans l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire.
Il est apparu de façon claire au cours des auditions que les autorités sanitaires européennes et françaises (EFSA / ANSES) ne protègent pas suffisamment les populations et l'environnement, notamment au regard des objectifs que les textes réglementaires leur fixent. Les agences interviennent en réalité le plus souvent en aval pour corriger, quand c'est possible, les dégâts à posteriori. On retrouve d'ailleurs systématiquement cet argument dans la bouche des promoteurs de l'utilisation des pesticides : "voyez, de nombreux pesticides ont été retirés, cela prouve bien que les mécanismes de régulation fonctionnent". De la même façon un titre de § dans ce rapport (p.102) est ainsi libellé : "L'ANSES a interdit un nombre important de substances". Pourtant les résidus de pesticides interdits il y a des années se retrouvent encore en quantité importante dans l'environnement et ont déjà causé leurs effets toxiques sur la santé. Il est bien entendu impossible de se satisfaire de cette situation, les dégâts étant souvent irréversibles.
Cette mansuétude s'illustre particulièrement concernant la présence des pesticides dans l'air. L'audition de Mr Yamada, responsable du pôle pharmacovigilance de l'ANSES est sur ce point révélatrice : il n'existe tout simplement pas de VR (valeur réglementaire) pour les pesticides dans l'air. Comment imaginer que les autorités sanitaires ignorent, de manière consciente, tout un pan de l'exposition humaine aux molécules épandues sous prétexte qu'il n’existe pas de test réglementaires pour évaluer l'absorption par voie aérienne des pesticides par l'humain (entre autres êtres vivants) ? Les associations de victimes alertent sur ce sujet de manière répétée depuis longtemps : le collectif "Avenir Santé Environnement", auditionné le 07/09/23 nous a par exemple livré un témoignage sur le constat d'un excès de risques de cancers pédiatriques dans la plaine d'Aunis, autour de La Rochelle, lié à des facteurs environnementaux, en l’occurrence des polluants agricoles. Des études ATMO révèlent en effet la présence de près de 41 molécules pesticides dans l'air, faisant de ce territoire le détenteur d'un triste record de France (connu) sur ce sujet. Le message de l'association est clair et mérite d'être entendu : Nous ne pouvons plus nous contenter d'accompagner la baisse de l'usage des pesticides, mais il faut maintenant se fixer un objectif, même lointain, de sortie des pesticides. Pourtant, il y a pour le moment une absence de décision sur ce sujet des pesticides dans l'air. L'action de l’État se résume pour l'instant à commander plus d'études. Mr Yamada déclare à ce sujet : "c'est au pôle produits réglementés (ndr : de L'ANSES) de prendre des décisions".
Il est impératif que l'ANSES entende ce message et considère les effets des pesticides présents dans l'air. Des mesures immédiates de préservation de la santé doivent donc être prises pour stopper la catastrophe sanitaire probablement en cours.
Au niveau européen, la mansuétude n'est pas moins grande : L'EFSA, par la voix de Mr De Seze, chef du département "production des évaluations du risque" auditionné le 8/11/23, avoue des défaillances dans l'évaluation de la toxicité à long terme des pesticides. Il indique la non prise en compte des avancées scientifiques sur les études mécanistiques dans le processus d'évaluation des pesticides, et ce, faute de moyens... Sur les études universitaires il dit : « Nous ne donnons pas un poids suffisant à ces études dans l’évaluation des risques », parlant même "de fossé entre le monde scientifique et le monde règlementaire".
Laurence Huc, toxicologue directrice de recherche de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), auditionnée le 19/10, nous dit à ce sujet que sur 14 mécanismes réels de cancérogénicité, un seul est pris en compte en toxicologie réglementaire. Les failles dans l'évaluation sont donc béantes. « La façon dont aujourd’hui le cadre règlementaire évalue les questions de biodiversité est partiel…il faudrait pouvoir développer des méthodologies plus complètes… » complète Mr De Seze. Là encore c'est en toute connaissance de cause que les agences réglementaires acceptent que nous soyons les cobayes des évaluations de toxicité qui ne sont pas sérieusement faites en amont, avec toute l’impartialité indispensable.
Malgré les nombreux constats posés sur la trop grande tolérance vis à vis des produits phytosanitaires et leurs effets, les recommandations du présent rapport pointent la bonne direction, mais ne prennent pas la mesure de l'urgence de la situation. Des mesures fermes et immédiates ainsi que des politiques publiques ambitieuses et massivement financées sont nécessaires.
En effet aujourd'hui les acteurs agricoles arbitrent les choix de leurs pratiques avant tout sur des critères économiques. C'est la problématique du revenu paysan bien trop bas qui est ici en cause et cela nous a été exposé en audition par les exploitants agricoles eux-mêmes. L'Impact de l'abandon des pesticides est estimé en moyenne à -13% sur l’excédent brut d'exploitation, un obstacle économique difficile à surmonter pour la majorité des agriculteurs qui peinent toujours à tirer un revenu décent de leur activité.
Face à cela, les politiques publiques sont trop peu volontaires pour contraindre à la diminution de l’utilisation des pesticides, et pour accompagner financièrement cette transition. De leur côté les représentants des agriculteurs tirent argument de cette situation pour refuser toute mesure ambitieuse. Chambres d'Agriculture France, auditionnée le 11/10/23, demande ainsi des objectifs plus bas que ceux portés aujourd'hui : "Il faut aussi que le monde agricole sente que l’objectif est atteignable. Or, je ne suis pas certain que le fait d’afficher d’entrée de jeu l’objectif de 50 % de réduction constitue un grand facteur de motivation du monde agricole. [...]. Je pense qu’il vaut mieux avoir un indicateur qui ne soit pas trop élevé, atteindre le résultat et revoir l’objectif ensuite, plutôt que fixer une barre très haut que tout le monde considère comme inatteignable et qui ne génère pas de motivation. Je suis demandeur d’objectifs réalistes […] "
De la même façon le label HVE a été promu pour donner l'illusion d'une action résolue en faveur de la diminution des pesticides. Ce label ne contient pourtant dans son cahier des charges aucune ambition sur ce volet : élevé en concurrence notamment du label AB il crée de la confusion auprès des consommateurs mais permet aussi un siphonnage des maigres aides publiques dédiées à l'agriculture biologique.
De son côté le "BASIC" (Bureau d'Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne) nous apprend que seul 1% des financements publics qui vont à l'agriculture sont dédiés à la baisse de l'utilisation des pesticides. Cela donne un ordre de grandeur de l'effort fait et à faire. Par ailleurs ces financements visent l'ensemble des pratiques sans ciblage précis alors que l'analyse fine des données révèle que seuls 20% des exploitations sont responsables de la quasi-totalité de l'augmentation des usages des pesticides. Là où l’État impute l'impasse et l'échec de la baisse de l'utilisation des pesticides sur l'agriculture tout entière, il y a en fait un problème de modèle qui est nié par les responsables politiques en charge aujourd'hui de l'orientation des politiques publiques agricoles.
Par ailleurs au regard des informations récentes qui révèlent une pollution massive et presque systématique de nos masses d'eau par des pesticides et leurs métabolites il est urgent que la puissance publique propose un plan de protection de notre eau de boisson et donc des captages : recherche systématique et uniformisée sur le territoire français (a minima métropolitain) d'un spectre large des pesticides et de leurs métabolites dans l'eau "potable", généralisation des aires de protection de captage, mise en place d'un fond de paiement pour services environnementaux (FPSE, géré par les agences de l'eau) abondé par des redevances relevées. A terme les coûts de dépollution a posteriori ainsi économisés seront réorientés vers ce FPSE.
En conclusion nous, députés du groupe parlementaire LFI-NUPES membres de la commission, tenons à redire l'importance de contraindre par loi et d'accompagner collectivement les pratiques vertueuses, à la hauteur de l'enjeu qui est posé.
Cela ne semble pas être la direction donnée par le gouvernement, à l'instar des annonces de la première ministre qui dans la soirée du 5 décembre 2023, a confirmé le renoncement à la hausse de la redevance pour pollution diffuse (RPD), perçue sur les ventes de pesticides, ainsi que celle de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau pour l’irrigation. Ce renoncement s'inscrit dans la longue lignée des gages donnés à l'agriculture industrielle et au modèle intensif. Il est d'autant plus grave qu'il revient sur une hausse qui avait été votée dans le projet de loi finances. Le gouvernement négocie donc directement avec les syndicats agricoles plutôt qu'avec les parlementaires dont il passe outre les décisions.
Nous recommandons en priorité :
De réglementer immédiatement les rejets de pesticides dans l'air : nous sommes très en retard en ce qui concerne la surveillance de l'air par rapport à ce qui est prévu pour les sols ou pour l'eau. Les pesticides ne font pas partie des quelques polluants dont la concentration dans l'air est mesurée et réglementée.
Des mesures conservatoires doivent être prises sans délai pour préserver la santé des populations.De faire payer les firmes pour les études académiques indépendantes, longues et coûteuses, nécessaires à la délivrance des AMM qu'elles demandent, afin que ces dossiers réglementaires ne soient pas uniquement documentés par les études scientifiques réalisées par ces mêmes firmes.
De relever très fortement le taux de redevance pour pollution diffuse et réequilibrer fortement la contribution des usagers au financement des agences de l'eau, aujourd'hui principalement supporté par les particuliers pourtant consommateurs minoritaires en volume.
De supprimer le label HVE ou d'envisager une refonte complète de son cahier des charges pour en faire un véritable tremplin vers la transition vers l'agriculture biologique;
De créer une caisse de défaisance pour reprendre la dette agricole de celles et ceux qui s’engagent au travers d’un contrat de transition à passer au 100 % bio, les auditions ayant confirmé que la dimension économique constitue l'un des principaux freins à la réduction des pesticides.
Pour le groupe LFI-Nupes,
Loïc Prud'homme, Aymeric Caron, Mathilde Hignet, Michel Sala