Le groupe parlementaire de la France insoumise a la possibilité d’initier la création d’une commission d’enquête une fois par session, par le biais de ce qui est appelé « droit de tirage. » Nous avons décidé de consacrer notre tout première commission d’enquête à la question de l’alimentation industrielle, sujet auquel personne ne peut échapper, avec une préoccupation constante : comment reprendre le pouvoir sur son assiette ? Désigné président de la commission par mes collègues députés, j’ai la charge d’en mener les travaux qui déboucheront sur un rapport et des propositions concrètes à la fin du mois de septembre. En attendant, je me permets d’en proposer un condensé en plusieurs parties.
Ce dernier article porte sur la place des nombreuses institutions publiques traitant le sujet.
Je terminerai cette série de billet de blog avec les réflexions que nous ont amenées les structures publiques. Elles ont occupé une part importante de nos auditions comme de nos déplacements. Cela était nécessaire, d’abord parce qu’elles ont la capacité d’expertise et de recul nécessaires sur tous les rouages de notre sujet. Ensuite parce qu’elles sont chargées, pour les administrations, de mettre en œuvre les politiques publiques qui leurs sont imposées par le législateur ou l’exécutif. Elles ont donc pour mission traduire en termes et actions concrètes toutes les décisions prises sous forme de lois et de décrets. Il fallait donc les rencontrer car nous avons besoin de penser à l’opérationnel lorsque nous réfléchissions à un nouveau cadre législatif, même si l’opérationnel ne doit en aucun cas limiter nos possibilités d’intervention.
Ce qui frappe d’abord, c’est l’architecture ou plutôt le manque d’architecture qui prévaut dans le paysage institutionnel qui prend des airs de jungle au sein de laquelle je défierais n’importe qui de s’y retrouver. Pas moins de 4 ministères interviennent sur les questions alimentaires, ayant chacun autorité sur plusieurs administrations et agences, elles-mêmes chacune responsable de plusieurs programmes, initiatives ou actions. À cela il convient d’ajouter des structures interministérielles, parfois directement rattachées à Matignon. Puis les institutions européennes, dont le pouvoir d’intervention est considérable et sur lesquelles le législateur français n’a pas de prise. Par un souci de concision et de clarté de mon propos, je vous épargnerai la majorité des noms et des sigles de chacun pour me concentrer sur les plus importants et les plus décisifs.
Plusieurs problèmes se posent. D’abord, la fragmentation et le flou des compétences entre ces institutions diluent les responsabilités. Mais parallèlement à cela, chaque institution porte en elle la tentation de se bâtir un pré-carré à conserver ce qui lui demande beaucoup d’énergie.
Le fonctionnement cloisonné ralentit et empêche parfois l’action publique. Il multiplie les possibles failles dans lesquelles peuvent s’infiltrer les mal intentionnés tout en amplifiant le risque de décisions et procédures contradictoires. Finalement, il désoriente les citoyens et empêche leur accès à une information claire.
La réactivité en cas de crise sanitaire pose question également. Le cas de Lactalis a montré que la poudre de lait infantile dépendait de deux réglementations et deux administrations distinctes.
Enfin, il y a besoin d’une mise en commun des connaissances et des compétences face à la complexification croissante des circuits d’approvisionnement alimentaires, ce qu’a montré l’affaire des lasagnes Findus à la viande de cheval.
Sur le cas des ralentissements de l’action publique que j’évoquais un peu avant, l’exemple concret est celui d’un document appelé GEM-RCN. Issu des recommandation d’un groupe d’études du ministère des Comptes publics sensé traduire les recommandations nutritionnelles du Programme national nutrition santé (PNNS), il est la bible des chefs d’établissements scolaires et leur sert à élaborer leur cahier des charges pour la restauration, de l’aveu des cadres du ministère de l’Éducation. Il se trouve que le 4ème PNNS est en place depuis 1 an et demi, alors que le GEM-RCN n’a toujours pas été mis à jour !
Il existe bien des rapprochements bilatéraux où sur des sujets concrets, je ne doute pas de la volonté des hauts fonctionnaires que nous avons auditionnés. C’est le cas, par exemple, d’un protocole existant entre les deux principales administrations chargées des contrôles, Direction générale de l’alimentation (DGAL) et DGCCRF (Consommation et répression des Fraudes). Cependant, force est de constater que les espaces communs de discussion et de coordination ne sont pas suffisamment nombreux, ni mis en valeur. Le Conseil national de l’alimentation peut-être en être un, avec les limites qu’il porte intrinsèquement. Présenté comme un parlement de l’alimentation, il n’a qu’un pouvoir d’avis et compte en son sein tous les acteurs, y compris privés dont les grands industriels. Cela dit, la possibilité d’en faire une sorte d’États généraux permanents de l’alimentation n’est pas inintéressante. Ce dont ont surtout besoin nos administrations et agences, ce sont des territoires communs dans l’action, le contrôle, l’information et la communication. C’est ce que propose Benoît Assemat, inspecteur général de la santé publique vétérinaire, soit en créant une agence interministérielle qui regrouperait tous ces corps et experts publics, soit en mettant tout le monde sous la tutelle d’un même ministère. Une même structure pourrait concentrer études et expertises, mener contrôles et enquêtes, devenir la référenceunique d’information pour le public. Il est indispensable que la puissance publique parle d’une seul et forte voix face à des industrielles qui, malgré les divisions et concurrences, savent encore se regrouper pour défendre l’intérêt du business.
Il s’agit aussi de donner à nos administration les attributions d’une véritable police de l’alimentation, chargée de faire respecter la règlementation, augmentée du principe de précaution, sans exception, là où aujourd’hui chaque administration circonscrite par un code sectoriel à faire respecter. Ce sera ainsi une administration chargée de mener les discussions avec l’industrie sur l’application des normes, leur calendrier et la définition des objectifs. La même les contrôlera et prendra les mesures coercitives qu’il faudra si elle constate qu’ils ne sont pas atteints sur un temps donné. Cela implique de donner les moyens suffisant d’agir.
En terme de personnel, il n’est pas évident d’avoir une vue exhaustive en raison précisément de la multitude de chapelles. Tout juste sait-on que certaines administrations ont pu souffrir des différents plan d’austérité appliqué à la fonction publique (RGPP, MAP) et que d’autres ont connues un reflux sans totalement récupérer leurs moyens précédents. En tout état de cause, il faudra concentrer les moyens et les personnels sur le terrain, dans les directions déconcentrées pour qu’ils soient vus et disponibles quotidiennement.
Les agents n’ont pas vocation à être des inspecteurs de « papier », ne pouvant juger que le bon déroulement de la procédure administrative enveloppant des autocontrôles laissés à la seule responsabilité de l’industrie. Pour cela, nous devons nous intéresser au réseau des laboratoires spécialisés. Leur maillage s’est étiolé et on ne sait plus qui s’en occupe : l’État ou les départements, qui ne se bousculent pas pour en revendiquer la charge ? Les systèmes d’accréditation devront également être renforcés en amont. La question du suivi des contrôles est aussi à repenser, au moins depuis que la Cour des comptes déplorait en 2012 que les non conformités relevées par la DGAL ou la DGCCRF n’étaient quasiment jamais suivi d’effets.
Enfin, à côté des missions de contrôle et de sanction, il pourrait être adjointe une mission beaucoup plus en amont : celle du renseignement dans le domaine des circuits alimentaires, pour prévenir les scandales. Des moyens financiers au plus proches des habitants et pour la recherche
À côté de cela, pour aider à la diffusion d’une norme globale et encourager les initiatives locales à aller encore plus loin dans le mieux-disant alimentaire, nous aurons besoin de débloquer des moyens financiers pour soutenir les projets alimentaires de territoires (PAT) ou les Projets éducatifs de territoire (PEDT) dans leurs volets alimentation. Actuellement, aucune ligne budgétaire n’existe pour les aider.
Il nous faudra également en créer une pour donner plus de capacité à agir et de liberté aux organismes publics (CNRS, INRA, ANSES, OQALI, …), notamment ceux de la recherche. Cela permettra de mettre fin à un système qui encourage la formation de liens d’intérêts public-privé par la faiblesse des moyens publics alloués et par la manière dont les fond son attribué à travers le système d’appel à projet hyper sélectif de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
C’est le prix d’un conseil scientifique indépendant et efficace au service des décideurs politiques et de l’administration.